mercredi 9 février 2011

Le grand coup

Ce n'était pas un ami. Moi, je le suivais partout. À la récréation, au gymnase, au terrain de balle. Je l'observais qui lançait, frappait, courait. Le soleil rendait sa peau dorée, comme brillante. Sa casquette laissait s'échapper quelques mèches sur sa nuque.

J'avais commencé à jouer moi aussi. À chaque pratique, il était là. Toujours le meilleur. Le plus grand. Il avait un regard perçant quand il se concentrait pour frapper. Il fixait la balle comme si rien d'autre n'avait jamais existé. Sa passion me fascinait. Pour moi, ce sport était un prétexte. Lui, comment pouvait-il être aussi fort?

Pourtant, un jour, je frappai un bon coup. Presque un circuit. C'est alors que quelque chose arriva. Lorsque je retournai prendre place sur le banc des joueurs, il leva son bras à mon passage et tapa dans ma main. Le choc. Un frisson. Le vent avait cessé de souffler. Je ne savais pas ce que c'était, mais je ne pus rejouer durant cette partie-là. Pétrifié sur le banc. Je rentrai chez moi en vélo, un sourire géant sur le visage.

À l'école, le lendemain, je cherchai son regard. Il ne me vit pas. Sans doute étais-je trop petit. Il regardait plus haut. Comme il n'était pas dans ma classe, l'avant-midi me parut interminable. Je fermai les yeux pendant la dictée et me remémorai cette poignée de main, cette chaleur, cette joie. Je fis des fautes sur ma copie. Plus qu'à l'habitude.

Je le croisai plus tard, dans le corridor. Nul doute que cette fois-ci, il m'avait vu. Son regard bifurqua. Je tentai de le retenir, mais rien à faire. J'essaierais de lui parler à la partie du lendemain.

Il pleuvait ce jour-là. Que de petites gouttes, mais ce n'était pas la fête. Le terrain était boueux. Je n'aimais pas ce sport. La partie était longue. Vers la fin, je réussis à frapper une balle avant ma troisième prise. Rien de génial comme coup. Je filai au premier but. Je cherchai son regard alors qu'il attendait son tour au bâton. Rien. Il était concentré, encore. Je dus me perdre dans mes pensées. J'entendis d'abord un bruit sourd, puis des cris, de plus en plus perçants, qui semblaient vouloir me sortir de mon état. Après, l'impact. Un coéquipier fonça droit sur moi, me projetant dans la boue. Presque au même instant, un joueur de l'autre équipe me colla la balle sur l'épaule. «Retiré!» Les joueurs de l'équipe adverse riaient et ceux de la mienne me fusillaient du regard. Lorsque je cherchai à nouveau ses yeux à lui, je vis qu'ils étaient remplis de larmes qu'il tentait de retenir. J'avais fait perdre son équipe. Lorsque je passai près de lui, il me lança un «Pfft», sur un ton que je n'oublierais jamais. Je m'enfuis du terrain de balle, oubliant même mon vélo.

À l'école, le lundi suivant, je ne le cherchai pas. Je demandai à ma maîtresse la permission de l'aider à ramasser les choses dans la classe durant la récréation, puisqu'on préparait la fin de l'année scolaire. Je ne voulais voir personne. Dans mon pupitre, plus tard, je trouvai un petit portrait de lui que j'avais griffonné au crayon à mine. Je le mis quand même dans ma poche.

Je ne retournai pas au terrain de balle cet été-là. Je fis du vélo dans les sentiers derrière chez moi. J'errai ici et là, trimbalant mes jouets. Un garçon de six ans comme les autres. Peu avant la rentrée, papa et maman se séparèrent. Un chagrin d'amour en efface un autre.

Amélie Charest

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