jeudi 20 janvier 2011

Sans titre

Texte écrit dans l'urgence et l'angoisse de déjà briser ma résolution!

Mon petit frère est parti. Le seul que j'ai connu. Ma mère en avait eu d'autres, avant, mais elle les a laissés à leurs pères. Que des garçons qu'elle a faits, ma mère. Que des garçons roux, il paraît. Elle était rousse elle aussi, jeune. C'était avant. Elle est maintenant toute blanche. Elle a tout perdu. Elle était seule. Et elle s'est mise à faire des petits garçons roux. Par réflexe de survie je suppose. Elle ne parle pas beaucoup. Elle me fait parfois peur, un peu.

Mon petit frère est parti avec une grande femme qui vend des bijoux. Elle le tenait par la main comme si elle avait peur de le perdre. Elle le croyait sans doute aussi précieux que l'or. Pourtant, il n'est pas très malin. Il pleure et il fait des caprices. Maman a bien fait de s'en débarrasser. On n'en avait plus besoin.

***

Il neige depuis deux jours. L'école est fermée. De toute façon, je n'y vais pas tous les jours. Les autres, ils ne connaissent rien. Ils passent leurs journées dans des vêtements trop longs. Moi, là-dedans, j'étouffe. Et je sais qu'ils me regardent.

Comme je peux rester chez moi, je roule tranquillement des cigarettes pour maman. Elle aime ma façon de les rouler bien serrées. Là, j'ai tout mon temps. Elles seront toutes égales, parfaites. C'est pas comme quand je les fais avant l'école ou le soir. Parfois je m'endors. Mais maman est gentille. Elle me laisse les terminer le lendemain. 
 
***

J'ai vu mon petit frère hier, en ville. On allait faire les commissions avec maman. On a fait l'air de pas le voir. Il était comme les autres avec ses vêtements trop longs. Avec sa coupe de cheveux et son odeur. Il a souri.

Nous, on est rentrés. On avait beaucoup à faire. Avec tout ce nouveau tabac, il m'a fallu manquer l'école. Mais il y avait la télé. J'ai appris qu'il allait encore neiger.

samedi 8 janvier 2011

S'acclimater

Ce texte a été écrit dans le cadre d'un atelier d'écriture.  Le thème était «joual stylisé».  Je ne sais pas si je l'ai respecté, mais c'est ce que ça m'a inspiré.


S'acclimater

Premiers jours de l'hiver. Aucun flocon sur le sol, mais un froid glacial qui me perce. Ma peau n'est pas habituée à cette température. Les pores sont trop ouverts, prêts à recevoir de grandes doses de soleil. Ils finiront sans doute par se refermer un peu. En attendant, je m'enroule dans des couches de laine et de coton. Et je retiens mon souffle. Si je n'étais pas si foncé, je prendrais une teinte bleue.

J'entre dans un petit commerce pour me réchauffer. La bouffée d'air que je prends en entrant est sonore. J'attire les regards des clients. Ma teinte tourne peut-être alors au rouge. Puis les gens se détournent de moi, sauf l'homme derrière le comptoir. Il me scrute, avec un grand sourire au visage:

-Pas chaud mon homme, hein?
-Non. Plutôt froid.
-Mais là 'tends peu mec la nége s'y mette. On a pas fini! Tout l'temps en train de pel'ter d'la maudite nége. Les pieds ben gelés. L'nez qui coule qu'on dirait une champlure. Maudite hiver! Pis là c'est rien, y fait jusse moins zéro! Mec ça vire à moins vingt pis qu'la face te gèle, c't'une aute histoère, tu vas wouère!
-...
-Ça fa pas long qu't'é par icitte toé hein?
-Pardon?
-Premiére hiver?
-Ah. Oui.
-Pis tu restes-tu loin? T'as-tu une job què'qu'part? T'as-tu des flos pis toute? Va falloir que té greilles comme faut les p'tits. Faut pas qu'y gèlent!

Je me dis alors que c'est peut-être mes oreilles qui ont gelé.
Une vieille femme s'approche de moi:

-Laisse-le fairrre le vieux. Y veut tout savoirrr sur c'qui s'passe dans l'quarrrtier. Mais c'est vrrrai qu'y fait frrrette en pas pour rrrirrre, hein? Tu dois trrrouver ça durrr su'a couenne si t'es pas habitué à ça! Même moi là j'ai prrresque soixante-dix pis à chaque fois que ça r'frrredit d'même j'ai d'la misèrrre à m'accoutumer. Pis j'te dirrrais même que c'est pirrre en veillissant. Surrrtout avec mon arrthrrite, j'ai assez mal dans l'corrrps! C'pas facile d'êt'vieux! Faque prrrends ton mal en patience mon jeune pasque t'as pas fini! Pis c'est vrrrai l'pirrre que c'est pas si frrrette aujourrrd'hui. L'pirrre s'en vient! C'pas que j'veux t'décourrrager, là. Mais c'pas toujourrrs drrrôle, l'hiverrr.

-Merci madame.

Le vent est maintenant entré dans ma tête. À la radio joue une chanson aux paroles étranges:

De ce grand pays solitaire je crie avant que de me taire
À tous les hommes de la terre ma maison c'est votre maison
Entre mes quatre murs de glace je mets mon temps et mon espace
À préparer le feu, la place pour les humains de l'horizon
Et les humains sont de ma race1

Il me reste à trouver ma place.

Amélie Charest


1Gilles Vigneault, Mon pays

samedi 1 janvier 2011

Dialogue avec la paresse

- Que fais-tu?

- Que veux-tu dire? 

- Je te demande simplement ce que tu es en train de faire... 

- Que veux-tu que je fasse?  

- Rien de particulier.

- Alors pourquoi t'intéresses-tu à ce que je fais? 
 
- Je ne m'y intéresse pas.  

- Très bien. Mais alors pourquoi cette question? 

- Il n'y a pas vraiment de raison. Pourquoi chercher à savoir? Tu réfléchis trop! 

- Oui. Peut-être devrais-je ralentir. 

- Tu te poses trop de questions! 

- Je devrais sans doute cesser. 

- Ça va te tuer. 

- Tu crois? 

- Je n'en sais rien; je n'y ai pas assez songé. 

- Tu as bien fait. Tu économises ton énergie. 

- Voilà! C'est la clé! 

- Même que nous devrions cesser de discuter. 

- Je suis d'accord. Il faudrait arrêter. 

- Alors pourquoi continues-tu? 

- Encore ces questions! Tu ne te reposes donc jamais! 

- C'est plus fort que moi, merde! 

- Tu as un réel problème et il faudrait que tu te fasses soigner. 

- Tu crois? 

- Peut-être bien. 

- Oui. Mon médecin doit me prescrire quelque chose pour faire taire ces pensées. 

- Mais non. Ferme tes yeux, ça va passer. 

- J'espère parce quand je pense trop, ça me donne parfois envie d'agir.

- C'est plus grave que je ne le pensais.

- … 

- Appelons les secours.

Amélie Charest