samedi 8 janvier 2011

S'acclimater

Ce texte a été écrit dans le cadre d'un atelier d'écriture.  Le thème était «joual stylisé».  Je ne sais pas si je l'ai respecté, mais c'est ce que ça m'a inspiré.


S'acclimater

Premiers jours de l'hiver. Aucun flocon sur le sol, mais un froid glacial qui me perce. Ma peau n'est pas habituée à cette température. Les pores sont trop ouverts, prêts à recevoir de grandes doses de soleil. Ils finiront sans doute par se refermer un peu. En attendant, je m'enroule dans des couches de laine et de coton. Et je retiens mon souffle. Si je n'étais pas si foncé, je prendrais une teinte bleue.

J'entre dans un petit commerce pour me réchauffer. La bouffée d'air que je prends en entrant est sonore. J'attire les regards des clients. Ma teinte tourne peut-être alors au rouge. Puis les gens se détournent de moi, sauf l'homme derrière le comptoir. Il me scrute, avec un grand sourire au visage:

-Pas chaud mon homme, hein?
-Non. Plutôt froid.
-Mais là 'tends peu mec la nége s'y mette. On a pas fini! Tout l'temps en train de pel'ter d'la maudite nége. Les pieds ben gelés. L'nez qui coule qu'on dirait une champlure. Maudite hiver! Pis là c'est rien, y fait jusse moins zéro! Mec ça vire à moins vingt pis qu'la face te gèle, c't'une aute histoère, tu vas wouère!
-...
-Ça fa pas long qu't'é par icitte toé hein?
-Pardon?
-Premiére hiver?
-Ah. Oui.
-Pis tu restes-tu loin? T'as-tu une job què'qu'part? T'as-tu des flos pis toute? Va falloir que té greilles comme faut les p'tits. Faut pas qu'y gèlent!

Je me dis alors que c'est peut-être mes oreilles qui ont gelé.
Une vieille femme s'approche de moi:

-Laisse-le fairrre le vieux. Y veut tout savoirrr sur c'qui s'passe dans l'quarrrtier. Mais c'est vrrrai qu'y fait frrrette en pas pour rrrirrre, hein? Tu dois trrrouver ça durrr su'a couenne si t'es pas habitué à ça! Même moi là j'ai prrresque soixante-dix pis à chaque fois que ça r'frrredit d'même j'ai d'la misèrrre à m'accoutumer. Pis j'te dirrrais même que c'est pirrre en veillissant. Surrrtout avec mon arrthrrite, j'ai assez mal dans l'corrrps! C'pas facile d'êt'vieux! Faque prrrends ton mal en patience mon jeune pasque t'as pas fini! Pis c'est vrrrai l'pirrre que c'est pas si frrrette aujourrrd'hui. L'pirrre s'en vient! C'pas que j'veux t'décourrrager, là. Mais c'pas toujourrrs drrrôle, l'hiverrr.

-Merci madame.

Le vent est maintenant entré dans ma tête. À la radio joue une chanson aux paroles étranges:

De ce grand pays solitaire je crie avant que de me taire
À tous les hommes de la terre ma maison c'est votre maison
Entre mes quatre murs de glace je mets mon temps et mon espace
À préparer le feu, la place pour les humains de l'horizon
Et les humains sont de ma race1

Il me reste à trouver ma place.

Amélie Charest


1Gilles Vigneault, Mon pays

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