dimanche 27 mars 2011

Le cheveu

Chaque jour, depuis quelque temps, elle s'arrachait un cheveu. Comme ça. Sans raison. Elle entortillait un long cheveu autour de son doigt, de façon à ce qu'il soit bien serré, comme pris au piège. Aucune façon de s'échapper. Puis, elle tirait d'un coup sec. Elle jetait ensuite le cheveu par terre et passait à autre chose. Était-ce un malaise ou une compulsion qui la poussait à agir ainsi? Elle ne s'était jamais posé la question. Mais elle le faisait chaque jour.

Un mardi, elle était assise à son bureau et attendait l'heure du lunch, qui tardait à arriver. Il lui semblait que son tailleur gris tirait de toute part et qu'elle allait exploser. Son écran d'ordinateur lui donnait la nausée. Les bruits autour d'elle l'agressaient. Elle regarda encore une fois l'horloge au mur . Pas encore l'heure. Tant pis. Elle saisit son sac et s'enfuit vers la sortie. Elle prit l'ascenseur et commença à souffler. Quelque secondes plus tard, elle était enfin dehors.

Sur le trottoir, un froid glacial l'attendait. Elle avait oublié de prendre son manteau. Qu'importe. Elle n'y retournerait pas. Elle parcourut quelques mètres avant de trouver l'entrée d'un grand magasin. Un café, un banc. Pour enfin souffler un peu. La pression sur ses épaules était telle qu'elle l'empêchait d'avancer davantage. Elle devait se ressaisir et elle le savait bien.

Elle avait presque trente ans. Elle faisait le boulot qu'elle avait choisi. Mais elle venait de réaliser que la cloche avait sonné. Qu'elle n'était plus un enfant. Voilà tout. Elle n'était plus la petite fille à papa.

Jusque là, elle avait joué. Joué le rôle de l'étudiante puis de la jeune professionnelle. Mais elle savait maintenant que ses responsabilités n'étaient pas accessoires. Elle devait faire face.

À suivre...

mercredi 2 mars 2011

L'enfant et la poussière

Sur la route de Tripoli, un enfant. Un soldat. Un voyou. Il marche, tête baissée, envoyant voler des cailloux. Il serre dans sa main un vieux foulard rouge. Taché. Du sang de son père, peut-être.

Il ne comprend pas cette révolution. Presque rien. Que la colère. Et ce désir de liberté. De sentir qu'il a le droit de devenir.

Il entend au dessus de sa tête passer les avions. Des puissances contre lesquelles il voudrait se battre. Se lancer sur ces géants comme d'autres se sont écrasés sur des chars d'assaut.

Ses sandales sont brisées. Il n'a aucun bagage. Que ses vêtements lourds de poussière. Il ne pense pas au retour. Atteindre seulement la ville.

Dans sa tête résonne l'écho des cris. L'appel aux armes. Le chaos. De l'eau salée trace des sillons sur son visage. Son ventre se noue. Il avance toujours.

Ses yeux noirs scrutent l'horizon. Des camions passent près de lui sans ralentir.
À quel camp appartiennent-ils? Sauter à bord ou leur lancer des pierres?

Sur la route de Tripoli, un garçon mesure son impuissance. Il atteindra son but la nuit tombée, sous une pluie de missiles. Qui remarquera sa rage?

Et qui regardera son visage blessé, quand il viendra mourir contre les remparts de la vieille ville?

Amélie Charest