jeudi 2 février 2012

L'amas


Qui avait la clé? Je cherchais à qui j'avais bien pu la donner. Dans mes mains, l'eau perlait. La peur creusait mon ventre. Pour aucune raison, j'étais paralysée sur le seuil. Incapable de pénétrer dans ce qui était devenu ma prison.

Il faut dire que ne sortais plus souvent. Seulement quand c'était vraiment nécessaire. C'était trop pénible. Je ne voulais pas de témoins. Que personne ne voit où je m'étais confinée.

Ma main tourna enfin la poignée et je poussai la porte. Il y avait comme une odeur. Mon odeur sans doute, qui me rassura un peu. Un chat passa, me jetant un regard indifférent.

Je me frayai un chemin entre les objets. J'observai mon environnement. L'angoisse commençait à se dissiper. J'oubliais peu à peu comme tout était linéaire, dehors. Comme une rue sans fin. J'avais horreur de voir l'horizon. D'être comme à découvert.

Je rejoignis mon fauteuil. Enfin. Je craignais qu'on m'ait suivie.

S'il fallait que je sorte à nouveau, il faudrait songer à mieux me protéger. Ils guettaient, dehors, ils attendaient. Ils viendraient sans doute. Ils viendraient me dire de partir. Ils viendraient m'apprendre à vivre.

Au milieu des amas d'objets qui s'écroulaient, je me sentais à l'abri. Ils disaient que c'était sale, infecté. Que je devais jeter et nettoyer. Mais tout ça m'appartenait. Ils n'avaient aucun droit. C'était chez moi.

J'entendis des bruits, dehors. Ils y étaient. Ils voulaient s'en prendre à moi. À mes choses. Comment pouvaient-ils comploter ainsi contre moi? Mes propres enfants. Ils voulaient ma maison. Ils voulaient ma peau.

dimanche 27 mars 2011

Le cheveu

Chaque jour, depuis quelque temps, elle s'arrachait un cheveu. Comme ça. Sans raison. Elle entortillait un long cheveu autour de son doigt, de façon à ce qu'il soit bien serré, comme pris au piège. Aucune façon de s'échapper. Puis, elle tirait d'un coup sec. Elle jetait ensuite le cheveu par terre et passait à autre chose. Était-ce un malaise ou une compulsion qui la poussait à agir ainsi? Elle ne s'était jamais posé la question. Mais elle le faisait chaque jour.

Un mardi, elle était assise à son bureau et attendait l'heure du lunch, qui tardait à arriver. Il lui semblait que son tailleur gris tirait de toute part et qu'elle allait exploser. Son écran d'ordinateur lui donnait la nausée. Les bruits autour d'elle l'agressaient. Elle regarda encore une fois l'horloge au mur . Pas encore l'heure. Tant pis. Elle saisit son sac et s'enfuit vers la sortie. Elle prit l'ascenseur et commença à souffler. Quelque secondes plus tard, elle était enfin dehors.

Sur le trottoir, un froid glacial l'attendait. Elle avait oublié de prendre son manteau. Qu'importe. Elle n'y retournerait pas. Elle parcourut quelques mètres avant de trouver l'entrée d'un grand magasin. Un café, un banc. Pour enfin souffler un peu. La pression sur ses épaules était telle qu'elle l'empêchait d'avancer davantage. Elle devait se ressaisir et elle le savait bien.

Elle avait presque trente ans. Elle faisait le boulot qu'elle avait choisi. Mais elle venait de réaliser que la cloche avait sonné. Qu'elle n'était plus un enfant. Voilà tout. Elle n'était plus la petite fille à papa.

Jusque là, elle avait joué. Joué le rôle de l'étudiante puis de la jeune professionnelle. Mais elle savait maintenant que ses responsabilités n'étaient pas accessoires. Elle devait faire face.

À suivre...

mercredi 2 mars 2011

L'enfant et la poussière

Sur la route de Tripoli, un enfant. Un soldat. Un voyou. Il marche, tête baissée, envoyant voler des cailloux. Il serre dans sa main un vieux foulard rouge. Taché. Du sang de son père, peut-être.

Il ne comprend pas cette révolution. Presque rien. Que la colère. Et ce désir de liberté. De sentir qu'il a le droit de devenir.

Il entend au dessus de sa tête passer les avions. Des puissances contre lesquelles il voudrait se battre. Se lancer sur ces géants comme d'autres se sont écrasés sur des chars d'assaut.

Ses sandales sont brisées. Il n'a aucun bagage. Que ses vêtements lourds de poussière. Il ne pense pas au retour. Atteindre seulement la ville.

Dans sa tête résonne l'écho des cris. L'appel aux armes. Le chaos. De l'eau salée trace des sillons sur son visage. Son ventre se noue. Il avance toujours.

Ses yeux noirs scrutent l'horizon. Des camions passent près de lui sans ralentir.
À quel camp appartiennent-ils? Sauter à bord ou leur lancer des pierres?

Sur la route de Tripoli, un garçon mesure son impuissance. Il atteindra son but la nuit tombée, sous une pluie de missiles. Qui remarquera sa rage?

Et qui regardera son visage blessé, quand il viendra mourir contre les remparts de la vieille ville?

Amélie Charest

dimanche 20 février 2011

Sans titre

            Dans mon village comme un ghetto, j’attends. 

J’ai vu un gars, à la télé, dire de la poésie sur un fond de musique.  J’ai vu une douleur.  J’ai lu sur ses lèvres des mots étranges qui sonnaient comme ma vie.  Puis j’ai écrit une page, presque rien.  Mes amis ont bien ri.  Je leur avais pourtant caché.  Le silence est revenu, mais dans ma tête résonnent des vers.  Quelque chose est cassé.  Moi, je ne viens pas du bout du monde chercher ma place dans un pays étranger.  Je l’ai déjà, ma place, qui se mesure en kilomètres d’espace.  On me l’a donnée.  Mais c’est quoi, cette rage?  Et pourquoi rester couché?

Dans mon village, tout le monde sait.  Que le bon temps est passé.  Que les espoirs se meurent.  Que tout ce que nos ancêtres savaient ne s’est pas transmis.  Peut-être qu’ils se sont tus, peut-être qu’on n’a pas écouté.  Mais le silence règne.  Les repères sont hors du temps, volatils. 

Le gars à la télé, dans sa banlieue des laissés-pour-compte, crie des mots qui m’étonnent.  Dans mon village de l’absence collective, nous ne comptons pas.  Nous sommes un nom sur une carte, qui attend de mourir, ou d’être sauvé.  On se plaît à dire qu’on est différents, qu’on est rebelles, mais que savons-nous du monde autour?  Rien.  Et on ne veut pas en connaître davantage.  Qu’on ne nous dérange pas.  Qu’on nous laisse en paix avec ce qui nous manque.  Avec nos enfants avides de tout, qui font leur temps à l’école comme on purge une peine, et qu’on espère voir revenir vers nous le soir venu.  Qu’ils ne s’égarent pas vers un monde trop vaste,  qu’ils ne nous échappent pas.  Rester ainsi, immobiles.

Ce gars à la télé avait peur que le monde l’oublie. Il avait peur de mourir en silence. Ce qu’il disait, je l’ai entendu.  Mais je vais me taire maintenant. 

Car je suis à l’abri, ici, au pied des montagnes où je ne suis jamais monté, de peur que la vue là-haut me donne le vertige.  Comme ce gars à la télé.

Amélie Charest

samedi 12 février 2011

La nuit

Elle s'était fait une tisane à la verveine. À trois heures du matin, elle doutait fort que cela pouvait lui redonner le sommeil. Elle ne savait que faire des ses dix doigts. Et qu'est-ce qu'on fait, seule, au milieu de la nuit? L'automne avait soufflé dans ses branches et lui avait enlevé ce qu'elle avait de vert. Son énergie, et son sommeil aussi.

Elle entendit un bruit. Une petite voix. Quelque chose de discret et de doux. Quelque chose à l'intérieur d'elle-même qui lui parlait. Une caresse. Dehors, le vent soufflait dans les feuilles mortes et la pluie cognait à sa fenêtre. Elle ne s'était jamais senti ainsi. La petite voix se fit de nouveau entendre.

Elle se mit à faire des calculs. Des formules mathématiques. Elle data des événement, revint sur une scène. Cette scène. Cet événement. Et elle eut un froncement de sourcil, un léger sourire, une petite sueur froide.

Elle retourna dans son lit, un noeud dans l'estomac. Ce qui lui aurait semblé farfelu quelques semaines avant lui paraissait maintenant bien réel. Les yeux fermés, elle sonda les profondeurs de ses entrailles. Elle chercha à savoir ce qui s'y tramait. Elle n'eut pas de réponse. Seulement la chaude impression d'une présence.

Le lendemain, tout fut confirmé de façon scientifique, logique, pratique. On sut depuis quand et pour quand. Elle s'inquiéta des détails administratifs et logistiques, de l'état des lieux, de l'espace. On se réjouit, puis on s'inquiéta encore.

Le sommeil ne revint pas tout de suite. Mais bientôt, il la poursuivit partout et à tout moment. Elle dormait au bureau et dans l'autobus. Une nuit, la petite voix se transforma et une vague qui la berça. Elle dormit ainsi pendant plusieurs mois, la main sur son ventre.

Un matin, quelqu'un vint la tirer de son sommeil dans une longue et violente secousse. Après des heures, la petite voix devint un cri et la vague, une boule toute chaude sur son sein. À ce moment, alors que la nuit venait dans sa petite chambre, elle sut qu'elle ne serait plus jamais seule.

Amélie Charest

mercredi 9 février 2011

Le grand coup

Ce n'était pas un ami. Moi, je le suivais partout. À la récréation, au gymnase, au terrain de balle. Je l'observais qui lançait, frappait, courait. Le soleil rendait sa peau dorée, comme brillante. Sa casquette laissait s'échapper quelques mèches sur sa nuque.

J'avais commencé à jouer moi aussi. À chaque pratique, il était là. Toujours le meilleur. Le plus grand. Il avait un regard perçant quand il se concentrait pour frapper. Il fixait la balle comme si rien d'autre n'avait jamais existé. Sa passion me fascinait. Pour moi, ce sport était un prétexte. Lui, comment pouvait-il être aussi fort?

Pourtant, un jour, je frappai un bon coup. Presque un circuit. C'est alors que quelque chose arriva. Lorsque je retournai prendre place sur le banc des joueurs, il leva son bras à mon passage et tapa dans ma main. Le choc. Un frisson. Le vent avait cessé de souffler. Je ne savais pas ce que c'était, mais je ne pus rejouer durant cette partie-là. Pétrifié sur le banc. Je rentrai chez moi en vélo, un sourire géant sur le visage.

À l'école, le lendemain, je cherchai son regard. Il ne me vit pas. Sans doute étais-je trop petit. Il regardait plus haut. Comme il n'était pas dans ma classe, l'avant-midi me parut interminable. Je fermai les yeux pendant la dictée et me remémorai cette poignée de main, cette chaleur, cette joie. Je fis des fautes sur ma copie. Plus qu'à l'habitude.

Je le croisai plus tard, dans le corridor. Nul doute que cette fois-ci, il m'avait vu. Son regard bifurqua. Je tentai de le retenir, mais rien à faire. J'essaierais de lui parler à la partie du lendemain.

Il pleuvait ce jour-là. Que de petites gouttes, mais ce n'était pas la fête. Le terrain était boueux. Je n'aimais pas ce sport. La partie était longue. Vers la fin, je réussis à frapper une balle avant ma troisième prise. Rien de génial comme coup. Je filai au premier but. Je cherchai son regard alors qu'il attendait son tour au bâton. Rien. Il était concentré, encore. Je dus me perdre dans mes pensées. J'entendis d'abord un bruit sourd, puis des cris, de plus en plus perçants, qui semblaient vouloir me sortir de mon état. Après, l'impact. Un coéquipier fonça droit sur moi, me projetant dans la boue. Presque au même instant, un joueur de l'autre équipe me colla la balle sur l'épaule. «Retiré!» Les joueurs de l'équipe adverse riaient et ceux de la mienne me fusillaient du regard. Lorsque je cherchai à nouveau ses yeux à lui, je vis qu'ils étaient remplis de larmes qu'il tentait de retenir. J'avais fait perdre son équipe. Lorsque je passai près de lui, il me lança un «Pfft», sur un ton que je n'oublierais jamais. Je m'enfuis du terrain de balle, oubliant même mon vélo.

À l'école, le lundi suivant, je ne le cherchai pas. Je demandai à ma maîtresse la permission de l'aider à ramasser les choses dans la classe durant la récréation, puisqu'on préparait la fin de l'année scolaire. Je ne voulais voir personne. Dans mon pupitre, plus tard, je trouvai un petit portrait de lui que j'avais griffonné au crayon à mine. Je le mis quand même dans ma poche.

Je ne retournai pas au terrain de balle cet été-là. Je fis du vélo dans les sentiers derrière chez moi. J'errai ici et là, trimbalant mes jouets. Un garçon de six ans comme les autres. Peu avant la rentrée, papa et maman se séparèrent. Un chagrin d'amour en efface un autre.

Amélie Charest

jeudi 20 janvier 2011

Sans titre

Texte écrit dans l'urgence et l'angoisse de déjà briser ma résolution!

Mon petit frère est parti. Le seul que j'ai connu. Ma mère en avait eu d'autres, avant, mais elle les a laissés à leurs pères. Que des garçons qu'elle a faits, ma mère. Que des garçons roux, il paraît. Elle était rousse elle aussi, jeune. C'était avant. Elle est maintenant toute blanche. Elle a tout perdu. Elle était seule. Et elle s'est mise à faire des petits garçons roux. Par réflexe de survie je suppose. Elle ne parle pas beaucoup. Elle me fait parfois peur, un peu.

Mon petit frère est parti avec une grande femme qui vend des bijoux. Elle le tenait par la main comme si elle avait peur de le perdre. Elle le croyait sans doute aussi précieux que l'or. Pourtant, il n'est pas très malin. Il pleure et il fait des caprices. Maman a bien fait de s'en débarrasser. On n'en avait plus besoin.

***

Il neige depuis deux jours. L'école est fermée. De toute façon, je n'y vais pas tous les jours. Les autres, ils ne connaissent rien. Ils passent leurs journées dans des vêtements trop longs. Moi, là-dedans, j'étouffe. Et je sais qu'ils me regardent.

Comme je peux rester chez moi, je roule tranquillement des cigarettes pour maman. Elle aime ma façon de les rouler bien serrées. Là, j'ai tout mon temps. Elles seront toutes égales, parfaites. C'est pas comme quand je les fais avant l'école ou le soir. Parfois je m'endors. Mais maman est gentille. Elle me laisse les terminer le lendemain. 
 
***

J'ai vu mon petit frère hier, en ville. On allait faire les commissions avec maman. On a fait l'air de pas le voir. Il était comme les autres avec ses vêtements trop longs. Avec sa coupe de cheveux et son odeur. Il a souri.

Nous, on est rentrés. On avait beaucoup à faire. Avec tout ce nouveau tabac, il m'a fallu manquer l'école. Mais il y avait la télé. J'ai appris qu'il allait encore neiger.